Roy
Lewis
Ce roman dont le titre évoque plutôt les aventures
de Dr Psycho le Cannibale, traite en fait de la vie de nos ancêtres, les
hommes des cavernes, un thème peu traité en littérature.
Les principaux protagonistes sont les membres d’une tribu préhistorique:
Edward, le père, est l’archétype du scientifique fou, qui n’hésite
pas à brûler la moitié du continent africain pour apprendre
à maîtriser le feu. Ernest, son fils, est plus philosophe et s’inquiète
des conséquences funestes que pourrait entraîner l’avancée
technologique. L’oncle Wanja, lui, s’oppose farouchement au progrès selon
sa théorie et suivant l’éternel moto: „Back to the Trees!".
On assiste donc successivement à la découverte
du feu, puis aux premiers essais culinaires qui permettent de réduire
le temps passé à mâcher, et donc laissent plus de temps
pour la chasse (donc l’abondance de biens) et la réflexion (qui n’est
plus troublée par les maux d’estomac).
Alors que nous vivons dans une société de consommation
où tout est acquis, où chaque fumeur se promène sans penser
aux dangers qu’il encourt avec son petit volcan bic (plus pratique que la torche
et moins astreignant que la pierre à feu), les personnages de Lewis sont
sans cesse obligés de se remettre en question pour tenter de passer du
statut d’homme singe à celui d’homo sapiens, en quête
perpétuelle des petits et grands progrès qui ont fondé
notre humanité.
" Pourquoi j’ai mangé mon Père "
est en fait une réflexion humoristique sur l’homme et la civilisation.
Ainsi la discussion sur l’exogamie au cours de laquelle Edward oblige ses enfants
à chercher une compagne à l’extérieur de la tribu, est
symbolique des aspects moraux et biologiques de notre société
actuelle. Lewis aborde même la problématique du langage comme conséquence
du développement, développant par le biais d’Edward une théorie
selon laquelle le vocabulaire ne peut être enrichi que lorsque de nouveaux
concepts et objets sont inventés. Il déplore en attendant que
le langage se résume à " une centaine de substantifs,
la vingtaine de verbes à tout faire, la pauvreté en prépositions
et suffixes, l’obligation perpétuelle de recourir à l’emphase
et aux gestes ".
Ces progrès technologiques et philosophiques s’accompagnent
de l’éclosion des premiers sentiments. Ainsi Ernest se considère-t-il
comme un pionnier lorsqu'il découvre l’amour, invention primordiale et
dont il n’est pas peu fier. Il devient humain, trop humain.
Roy Lewis a doté ces personnages d’un langage et d’un
comportement proches des nôtres. Le décalage entre un mode de vie
extrêmement primitif et les discussions philosophiques ou l’usage de tics
anglophones ajoutent encore au comique des situations. Et puis, comment ne pas
rire du souci des femmes des cavernes, dont l’unique souci est d’avoir une petite
grotte bien aérée, sans ours, avec suffisamment de place pour
toute la famille ?
Bref, si vous ne savez pas comment préparer un cuissot
de mammouth ou que vous souhaitez déloger la famille de hyènes
qui loge en face de chez vous, si vous avez envie de vous initier à la
chasse avec des pierres et d’apprendre à faire la cour avec des arguments
massue (au sens propre), ce livre est pour vous.
Celia