L'auteur dont on cause
Beigbeder est l'auteur dont on
cause et son roman 99 Francs (en allemand : 39,90 DM) est placé Outre-Rhin
en neuvième position des titres les plus vendus.
Auréolé de la gloire
du scandale causé par la parution de son livre en France, Beigbeder a
lu des passages de celui-ci en juin dernier à la Literaturhaus de Francfort.
La lecture qu'il fait de son uvre est des plus caustiques et il n'hésite
pas à chantonner "Gillette, la perfection au masculin"devant
un public hilare. Il nous gâte de quelques remarques dans un anglais très
frenchy et de commentaires dans un allemand laborieux, augmentant encore la
jubilation des spectateurs.
S'ensuit un débat des plus
chaotiques avec le public et un publicitaire allemand bien décidé
à défendre sa profession. Les problèmes d'éthique
sont abordés: En effet, Beigbeder critique la publicité alors
qu'il a lui-même appartenu à cette caste qu'il a trahie. Il n'hésite
pas non plus à utiliser les mêmes moyens qu'il dénonce :
tapage médiatique, vente de son livre comme un produit réduit
à son prix. Littérature ou mercantilisme ? Ecrivain ou marchand
de tapis ?
Autre scandale en Allemagne: Beigbeder
montre dans son ouvrage que les Nazis ont inventé les premiers grands
slogans. Le public, qui n'a pas pansé les plaies de la seconde guerre,
apprécie peu qu'on les lui rappelle. Beigbeder finalement réussit
grâce à son charisme à gagner le public à sa cause
et argue pour sa défense qu'il n'a fait que "poser une bombe à
retardement et foutre le camp ".
99 Francs est un pamphlet contre
la pub à caractère autobiographique. Lui-même créateur
de pub avant d'être remercié à la parution du roman, il
dénonce dans son utopie, par le biais d'Octave, le monde publicitaire
vu de l'intérieur, fait de clichés, d'absence de goût et
de cynisme, dans le seul but d'être licencié comme traître
à sa cause. Son attente sera remplie mais il devra d'abord commettre
un meurtre rituel pour pouvoir s'évader dans la liberté d'une
cellule en prison.
Il y décrit avec un humour
au vitriol "un monde où l'on dépense des millions de francs
pour donner envie à des gens qui n'en ont pas les moyens d'acheter des
choses dont ils n'ont pas besoin"et un milieu dans lequel la devise est
:"Ne prenez pas les gens pour des cons, mais n'oubliez pas qu'ils le sont".
Entre coke et prostitution, grands groupes et travail bâclé, son
humour décapant montre à quel point nous sommes manipulés:
"Où que vous posiez les yeux trône ma publicité".
Mais
il ne faut pas s'y tromper, 99 Francs n'est pas un documentaire, même
si les grandes sociétés sont clairement citées (son "Madone"
ne trompe personne dans une société de consommateurs de yaourts)
avec les chiffres qu'elles consacrent à la pub (effarants). Tout au fil
du roman, des slogans et des scenarii interrompent le texte comme des spots
publicitaires le film du dimanche soir.
Une démarche intéressante,
mais pas forcément originale. Cependant l'auteur mélange réalité
et fiction, créant ainsi un monde qui ne se différencie plus que
par les marques et les produits. La méthode a priori paradoxale de battre
la publicité avec ses propres moyens apparaît alors comme légitime
puisqu'elle montre une sensibilité pour ce que l'on appelle ici le "Zeitgeist",
c'est à dire qu'elle révèle l'esprit d'une époque,
démarche déjà utilisé par Brett Easton Ellis dans
son très controversé American Psycho.
Mais au delà des débats,
99 Francs est un livre drôle sinon "moral"comme l'indique Beigbeder
sur la pochette de son roman, et une parfaite lecture de plage. Mieux vaut l'avoir
lu, vous ne couperez pas à la discussion lors du prochain dîner
en ville.
Célia