Frederic Beigbeder
99 Francs

L'auteur dont on cause

Beigbeder est l'auteur dont on cause et son roman 99 Francs (en allemand : 39,90 DM) est placé Outre-Rhin en neuvième position des titres les plus vendus.

Auréolé de la gloire du scandale causé par la parution de son livre en France, Beigbeder a lu des passages de celui-ci en juin dernier à la Literaturhaus de Francfort. La lecture qu'il fait de son œuvre est des plus caustiques et il n'hésite pas à chantonner "Gillette, la perfection au masculin"devant un public hilare. Il nous gâte de quelques remarques dans un anglais très frenchy et de commentaires dans un allemand laborieux, augmentant encore la jubilation des spectateurs.

S'ensuit un débat des plus chaotiques avec le public et un publicitaire allemand bien décidé à défendre sa profession. Les problèmes d'éthique sont abordés: En effet, Beigbeder critique la publicité alors qu'il a lui-même appartenu à cette caste qu'il a trahie. Il n'hésite pas non plus à utiliser les mêmes moyens qu'il dénonce : tapage médiatique, vente de son livre comme un produit réduit à son prix. Littérature ou mercantilisme ? Ecrivain ou marchand de tapis ?

Autre scandale en Allemagne: Beigbeder montre dans son ouvrage que les Nazis ont inventé les premiers grands slogans. Le public, qui n'a pas pansé les plaies de la seconde guerre, apprécie peu qu'on les lui rappelle. Beigbeder finalement réussit grâce à son charisme à gagner le public à sa cause et argue pour sa défense qu'il n'a fait que "poser une bombe à retardement et foutre le camp ".

99 Francs est un pamphlet contre la pub à caractère autobiographique. Lui-même créateur de pub avant d'être remercié à la parution du roman, il dénonce dans son utopie, par le biais d'Octave, le monde publicitaire vu de l'intérieur, fait de clichés, d'absence de goût et de cynisme, dans le seul but d'être licencié comme traître à sa cause. Son attente sera remplie mais il devra d'abord commettre un meurtre rituel pour pouvoir s'évader dans la liberté d'une cellule en prison.

Il y décrit avec un humour au vitriol "un monde où l'on dépense des millions de francs pour donner envie à des gens qui n'en ont pas les moyens d'acheter des choses dont ils n'ont pas besoin"et un milieu dans lequel la devise est :"Ne prenez pas les gens pour des cons, mais n'oubliez pas qu'ils le sont". Entre coke et prostitution, grands groupes et travail bâclé, son humour décapant montre à quel point nous sommes manipulés: "Où que vous posiez les yeux trône ma publicité".

Mais il ne faut pas s'y tromper, 99 Francs n'est pas un documentaire, même si les grandes sociétés sont clairement citées (son "Madone" ne trompe personne dans une société de consommateurs de yaourts) avec les chiffres qu'elles consacrent à la pub (effarants). Tout au fil du roman, des slogans et des scenarii interrompent le texte comme des spots publicitaires le film du dimanche soir.

Une démarche intéressante, mais pas forcément originale. Cependant l'auteur mélange réalité et fiction, créant ainsi un monde qui ne se différencie plus que par les marques et les produits. La méthode a priori paradoxale de battre la publicité avec ses propres moyens apparaît alors comme légitime puisqu'elle montre une sensibilité pour ce que l'on appelle ici le "Zeitgeist", c'est à dire qu'elle révèle l'esprit d'une époque, démarche déjà utilisé par Brett Easton Ellis dans son très controversé American Psycho.

Mais au delà des débats, 99 Francs est un livre drôle sinon "moral"comme l'indique Beigbeder sur la pochette de son roman, et une parfaite lecture de plage. Mieux vaut l'avoir lu, vous ne couperez pas à la discussion lors du prochain dîner en ville.

Célia