Libre...
Amélie Nothomb écrit deux types de livres : des
romans autobiographiques et des romans psychologiques où se glisse un
certain suspens. Cosmétique de l'ennemi est du deuxième
genre. Rien à voir avec un roman policier: il n'y a pas d'énigme
à résoudre, seulement deux personnages qui s'affrontent intellectuellement
en huis clos. L'histoire commence si simplement qu'on ne se pose plus ces questions,
on se laisse embarquer. Comme dans ses autres romans, un mystère est
pourtant là dès le début: on sait que le fin mot sera donné
au fur et à mesure, sans qu'on puisse rien en deviner. Les rebondissements
des romans d'Amélie Nothomb sont toujours spectaculaires et plutôt
inattendus, mais là ils sont plus nombreux et complètement déroutants.
Je n'en dévoilerai pas plus!
La première partie du livre se lit donc dans l'attente,
en savourant les dialogues pleins de finesse. Les thèmes favoris d'Amélie
Nothomb sont tous là: d'abord, la manière de lire des gens - "Vous
ne lisez pas. Peut-être croyez-vous être en train de lire. La lecture,
ce n'est pas ça" -. Dans Hygiène de l'assassin, le personnage
principal a tout un discours sur ce sujet, trouvant que les gens font en général
semblant de lire, mais ne saisissent pas le sens profond de ce qu'ils lisent.
Ceci n'intervient qu'au début de Cosmétique de l'ennemi,
comme un clin d'œil, pas plus de quelques phrases.
Puis arrive le thème de la beauté parfaite, celle
d'un visage lumineux, qui ne se décrit pas mais se ressent, présente
dans quasiment toute l'œuvre de l'auteur. La beauté est source d'amour,
un amour absolu et parfait qui s'accompagne souvent de violence. La beauté
est presque une excuse permanente pour l'amoureux, ce sujet étant largement
traité dans Attentat. Dans Cosmétique de l'ennemi,
Amélie Nothomb ne s'étend donc pas sur la beauté: elle
préfère s'intéresser à la suite, aux conséquences
sur le comportement de l'amoureux.
Et c'est là
que vient tout naturellement le thème suivant, traité avec indécence,
impudeur et surtout immoralité : le viol. A ce propos, Amélie
Nothomb devient scandaleuse, elle traite le sujet à travers la pensée
du plus déjanté des fous, qui se trouve non seulement des raisons
de violer, ce qui suffirait à nous le faire détester, mais arrive
presque à nous les faire comprendre, ce qui est insupportable. Ceci raconté
avec calme et simplicité nous inspire des sentiments contradictoires
sur le personnage : tant d'intelligence mise au service d'une cause si amorale
! La manière dont ce sujet est traité rappelle d'ailleurs Mercure,
où le vieil homme trouve normal de séquestrer l'objet de son amour.
La différence est que dans Cosmétique de l'ennemi, Amélie
Nothomb a plutôt l'air de se placer du côté du "méchant",
en tout cas il est plus habile intellectuellement que l'autre personnage...
Pour finir, en toute logique, est abordé le thème
de la mort. La mort comme assassinat d'abord, qui devient sous la plume d'Amélie
Nothomb (comme dans Hygiène de l'assassin) une chose belle, noble,
parfois nécessaire, jamais accompagnée de remords, engendrant
éventuellement un certain sentiment de culpabilité. Comme le viol,
l'assassinat trouve dans Cosmétique de l'ennemi des justifications
très logiques qui font froid dans le dos... Puis petit à petit
la mort devient suicide. D'une manière particulière pourtant :
le personnage demande qu'on le tue, il veut donc "se faire suicider" !
Tous ces thèmes,
Amélie Nothomb les aborde avec la même insolence que dans ses autres
romans : le scandaleusement outrageux n'a pas l'air de l'effrayer mais de lui
procurer beaucoup de joie. Elle semble aimer aller se promener aux frontières
de la morale, les dépassant fréquemment avec une grande simplicité
et une grande logique. La décadence humaine est un de ses sujets de prédilection
et elle ne la place pas toujours où on l'attend...
On peut donc se réjouir qu'Amélie Nothomb écrive
sans mettre en pratique ses pensées les plus extravagantes: cela nous
procure beaucoup de plaisir, de stupeur et... de tremblements ! Quant au premier
mot du présent article, c'est aussi le dernier de Cosmétique
de l'ennemi, et il est hors de question que je vous l'explique. Plongez
ou replongez dans l'univers d'Amélie Nothomb, vous en ressortirez peut-être
transformé...
< Sab