La Pianiste

L'évènement cannois de cette année a indiscutablement été La Pianiste. Un an après les débats suscités par le controversé Dancer In The Dark, la polémique a repris presque à l'identique : les laudateurs admirent le courage et la force d'un film dont les détracteurs pointent la complaisance, l'unanimité ne se faisant que sur la prestation de l'actrice principale. Mais alors, qu'en est-il, de cette pianiste ?

Volontiers décrit comme un cinéaste "moral", Michael Haneke dissèque dans ses films les différents aspects de la violence dans notre société. Sa volonté affichée de distanciation, son rejet des artifices cinématographiques ("La question de la réalité au cinéma, des dangers de cette fausse réalité, est un thème récurrent des films que j'écris"), en font l'héritier naturel de Kubrick. Et, tout comme chez Kubrick, ce choix austère n'exclut pas la possibilité d'une bonne dose de provocation - certains diront de complaisance - comme dans le très controversé Funny Games (1997) ou, bien sûr, La Pianiste.

Le film nous présente l'histoire d'Erika, professeur de piano soumise à une double tyrannie ; celle de sa mère, possessive et fusionnelle, mais aussi celle de son milieu, d'un art où toute faiblesse est proscrite. Le récit de ses fuites dans une sexualité non-conformiste, unique moyen d'exister enfin pour elle-même, ne manque pas, sous le regard analytique de Haneke, de choquer et d'interroger. L'apparition de Walter, jeune et talentueux pianiste, leur passion, vient bouleverser cette vie dés-ordonnée et le film, qui bascule alors dans une "parodie de mélodrame", selon l'expression de Haneke.

"Parodie", le mot est bien indulgent. A trop vouloir en faire, à trop vouloir en dire, à trop vouloir en montrer, le film sombre dans un acharnement démonstratif, dans une accumulation de scènes chocs, bref, dans le mélodrame. Loin de nous éclairer sur les personnages, cette deuxième partie du film en fait des pantins qui s'agitent au gré des nécessités du scénario.

Débordant de son cadre initial, tentant d'aborder de front des thématiques qui ne cessent de se multiplier, Haneke semble perdre le contrôle de son film. En affectant de garder de la distance par rapport à son sujet, il en vient, entre ironie mal placée et pesanteurs scénaristiques, par donner l'impression de légitimer l'indéfendable. Lorsque, point d'orgue d'un crescendo d'humiliations, l'auteur filme une scène de viol mêlant violence insoutenable des images et vaudeville de boulevard, lorsqu'en écho à la souffrance des personnages ne viennent que les rires gras de la salle, l'écœurement n'est pas loin.

On ressort groggy, certes, mais sans que ce film ne nous ait apporté autre chose que des sensations (trop) fortes, sans que ce matraquage émotionnel de 2h10 nous offre d'autres pistes de réflexion que "pourquoi ?". Pourquoi tant d'acharnement ?

Montrer l'horreur sans prendre parti, parier sur l'intelligence du spectateur, c'est un bel idéal, pouvant produire des œuvres fortes (Orange Mécanique, Salo ou Les 120 jours de Sodome), encore faut-il pour cela donner matière à réfléchir. Mais, lorsque la maîtrise fait défaut, au point que la "performance" prend le pas sur le discours, la méthode est discutable. Comme pour Dancer In The Dark, reste une impressionnante performance d'actrice et quelques scènes extraordinaires, qui n'en font que plus regretter que l'auteur ait cédé à un certain narcissisme, une volonté de prouver qu'il avait la capacité de heurter, oubliant en route son propos...

Flop