Avez-vous
lu 1984, de Georges Orwell? N'avez-vous jamais eu l'impression
de vivre dans un cauchemar éveillé: un monde triste,
morne, répétitif, sale, où tout est tellement
codifié que vous ne pouvez échapper à votre
destin? Terry Gilliam a dû lire 1984, car son film,
Brazil, a l'air d'en être inspiré, d'autant
qu'il est sorti en... 1984!
Le
monde décrit dans Brazil est tout aussi déterministe que
celui de 1984: classes sociales séparées, impossible de
monter, on peut parfois descendre. Les gens vivent en ville, chacun son quartier,
chacun sa place, mais tout est gris. Il n'y a pas de caméras partout,
seulement dans les bâtiments publics, mais dès le début
du film, la propagande est là, jusque dans les moindres recoins des appartements.
Toute personne est fichée, répertoriée dans l'Ordinateur.
Tout comme dans 1984, le monde est axé sur la paperasserie et
les machines sont reines.
Oui
mais, et c'est là que Brazil se différencie
de l'œuvre d'Orwell, et si une erreur survenait?? Impossible, l'Ordinateur
est infaillible! Et pourtant... Le film commence comme ça.
On pourrait s'attendre à une suite de quiproquos, l'histoire
se résumant à cette idée. En réalité,
c'est bien plus farfelu que tout ce que vous pouvez imaginer...
Le
personnage central n'est pas celui qui est concerné par l'erreur,
mais un bête employé de bureau comme vous et moi, à
ceci près qu'il est issu d'une famille riche mais qu'il n'a
aucune ambition. Il aime rester l'employé chouchou de son
service car plus intelligent que le chef. C'est un des rares personnages
du film à peu près normal, du moins n'est-il pas dupe
du monde dans lequel il vit.
Soudain,
une scène qui peut rappeler de mauvaises pubs : le héros vole
à l'aide d'ailes fixées sur une armure clinquante, trop bien sûr,
et poursuit une femme superbe qui ne fait que l'attendre. N'importe quoi, pense-t-on
à priori. Toutes les niaiseries y passent, Gilliam utilise l'esthétisme
le plus kitsch de sa réserve, et ce n'est pas peu dire! Et puis le film
reprend, ce n'était qu'un rêve, bien sûr...
D'autres
scènes de ce genre coupent régulièrement le
film, enlèvement de la princesse et bagarres héroïques
contre des monstres en prime. Au fur et à mesure, les rêves
et la réalité se mêlent et c'est là que
réside tout le talent de Gilliam. Il ne fait pas passer son
message par l'histoire ou les personnages, mais par des allégories.
Dans chaque personnage, on trouve du bon et du mauvais, pas de manichéisme,
et de toute façon le monde décrit est tellement surréaliste
qu'on s'y perd un peu.
Vous
l'aurez compris, le scénario du film est extraordinaire au
sens propre du terme, on ne s'en lasse pas. Mais cela ne suffit
pas pour faire un chef d'œuvre. Gilliam a le génie (je pèse
mes mots) d'exprimer ses idées avec... l'image!!. Eh oui,
c'est du Cinéma, l'aurait-on oublié à force
de voir des films moyens qui paraissent bons à côté
des navets? Oui.
Dans
Brazil, chaque scène a une couleur, une lumière, une texture
presque, qui lui sont propres. C'est comme ça que les séquences
de rêve s'intègrent finalement si bien: elles sont une traduction
de la manière dont le héros vit dans son monde, et donc de ce
que Terry Gilliam en pense.
J'avais
vu Brazil à la télé, il y a dix ans,
le voir maintenant au cinéma a été pour moi
une révélation: j'ai l'impression de n'avoir jamais
vu d'autre vrai film, aussi pur et complet. Il me semble maintenant
avoir compris en quoi le cinéma peut parfois être considéré
non pas comme un divertissement, mais comme de l'Art.
Sab