
Mon nom être Heston, Charlton Heston.
Partis
réaliser le grand rêve des sixties, la conquête
de l'espace, des astronautes américains finissent par se
crasher au beau milieu du lac Powell, dans une séquence digne
d'Ed Wood - le caméraman devant être un derviche tourneur
reconverti. Le temps pour Charlton Heston d'une épitaphe
virile pour l'alibi féminin de l'équipe ("elle
aurait fait une belle Eve"), et voilà nos mâles
survivants partis pour une (longue...) séance de trekking
dans la vallée de la mort, prétexte à quelques
démonstrations de testostérones et autres réflexions
sur notre putain de société décadente ("j'avais
des femmes la-bas, beaucoup de femmes, pour faire l'amour, mais
pas d'amour alors je suis parti").
Après
ce cauchemardesque -pour eux comme pour nous- premier acte, nos
sympathiques héros rencontrent successivement les indigènes,
puis les premiers singes. Paradoxe, ici ce sont les singes qui chassent
les humains, permettant au passage de se débarrasser de l'alibi
afro-américain de l'équipe et de laisser le champ
libre à Charlton, traîtreusement capturé par
ces fourbes de gorilles.
On
a la sensation que le film commence, enfin, et se fait plus acide, avec des
pointes d'ironie cruelle comme cette scène ou les chasseurs/gorilles
posent fièrement devant le tas d'humains/proies abattus. Mais l'ensemble
reste bien inégal, constamment tiraillé entre un sujet redoutablement
subversif et une volonté de faire rentrer au maximum les sous dans la
caisse.
Charlton
Heston, alors au faîte de sa gloire virile, en fait des tonnes,
sourire hâbleur et torse velu en avant, vampirise complètement
son personnage et finit par arriver à cet exploit troublant,
cette mise en abyme du star-system hollywoodien : il arrive à
surjouer dans son propre rôle. Au diapason de sa vedette,
Franklin Schaffner, spécialiste du film de guerre (Patton,
The War Lord) n'hésite pas à en rajouter dans le démonstratif,
des fois que ceux du fond ne soient pas très attentifs et
n'aient pas très bien compris qui étaient les gentils
et qui étaient les méchants. Jerry Goldsmith, compositeur
multirécompensé avec plus de 200 films au compteur,
participe à la fête avec une partition pompière
dans la grande tradition de la série Z qui parvient à
alourdir encore un peu plus l'ensemble
Quant
aux pauvres scénaristes ils souffrent aussi.
Ils
essayent de caser dans une trame linéaire la lutte pour les
droits civiques, un hymne à la gloire de Charlton Heston,
la guerre froide, des effets spéciaux qui tuent, une réflexion
sur les dangers de la science, ceux de la religion, une jolie brune
préhistorique en string de fourrure, une étude de
caractère plutôt velue, des scènes d'actions
et un questionnement sur l'Humain (ouf !), le tout en restant accessible
au premier amateur de pop-corn venu.
Inutile
de dire que c'est plutôt raté. Entre mystères
insondables (mais pourquoi ces singes parlent-ils anglais ?) et
passages inutiles (mais pourquoi passer dix minutes sur une évasion
ratée ?), on navigue à vue en attendant le dernier
quart d'heure, qui certes dénoue tout mais sans que cette
énième péripétie foireuse n'arrive vraiment
à convaincre.
Au
vu de cet indigeste gloubi-boulga, on se demande bien ce qui a permis
à ce film de devenir une oeuvre culte avec cinq (inénarrables...)
suites, une série TV, et ses cohortes d'aficionados intransigeants.
Sans
doute cette intuition géniale de Boulle, cette science-fiction si proche
de nous qui, par le renversement des rôles qu'elle opère, nous
renvoie mécaniquement à notre angoisse sur notre condition d'humains.
Peu importe finalement le récit, la simple idée de ce monde de
singes nous rappelle notre fascination/répulsion pour notre part de bestialité,
nous interroge sur notre panique à l'idée d'être la seule
espèce intelligente de l'univers.
Et
puis, il y a cette scène finale, qui suffirait presque à sauver
le film, et puis, il y a le torse viril de Charlton...
Flop