La Nouvelle Vague Allemande

De l’année 0 de la pop allemande à la déferlante dansante

 

Au début des années 80, la musique allemande avait atteint le degré 0 et n’était plus qu’une pâle imitation de la pop britannique ou américaine. La seule star était Udo Lindenberg, le seul scandale une jeune chanteuse est-allemande, Nina Hagen. Tout le reste n’était qu’un mélange avarié de musique folklorique populaire et d’alternatif sans public.

Partant du principe qu’ils n’avaient rien à perdre, des musiciens jeunes et plus expérimentés se sont laissés influencer par la philosophie punk. D’un seul coup, tout semblait possible puisque les Sex Pistols avaient réussi à percer. Une bonne dose d’insolence a permis à un vent nouveau de souffler. Trois accords remplacent des arrangements musicaux alambiqués et des messages politiques lourds comme la choucroute. Une évolution finalement révolutionnaire au pays des penseurs et des poètes. De plus en plus de groupes osent enregistrer cassettes et disques, la Neue Deutsche Welle fait son apparition. On ne peut pas parler en 1980 d’une véritable déferlante car les groupes s’autoproduisent encore, mais la brise souffle. Le succès est inattendu, pas tant au niveau des ventes que par l’intérêt du public pour les sons made in Germany.

D’un point de vue marketing, le terme de " Nouvelle vague allemande " était génial. Beaucoup plus généraliste que la New wave britannique et ses humeurs sombres, la Neue Deutsche Welle se collait sur n’importe quel style et n’importe quoi, pourvu que la musique soit dansante et le texte allemand. La rime est autorisée mais tombe en désuétude, la grammaire est abandonnée./p>

Dans les clubs les plus élitistes, les DJ qui avaient rayé les productions allemandes de leur programmation lancent Ideal, Extrabreit ("super large" mais aussi "complètement défoncé"), Fehlfarben (Manque de couleur), Rheingold (jeu de mots sur l’or du Rhin et l’or pur), Neonbabies, Joachim Witt, Grauzone (Zone grise) et DAF. Bruyante, extravagante, insolente, la nouvelle vague suscite les passions dans les journaux pour adolescents. L’âge des consommateurs moyens baisse avec la qualité.

Ce sont néanmoins des légions de joyeux Teutons qui fredonnent des chansons vides de sens et prônent la Rote Rose, Rose Rose Rose, Rosemarie, un slogan qui aurait en France fait la joie du PS. Les conservateurs dansent et scandent Hurrah Hurrah die Schule brennt (l’école brûle). Leurs vêtements sont drôles et colorés et on assiste en Allemagne à une véritable renaissance musicale. La mode évolue de plus en plus rapidement et les stars interchangeables passent de l’habit de lumière flashy trash à un look plus décent.

La Neue Deutsche Welle était un mélange de tout et il était impossible d’y échapper. Le mix musical était incroyablement large : vacarme post-moderne ou réminiscences de la musique tralalala hi hi de la génération parentale, rien n’est impossible, tout est admis. Avant que l’on ait pu analyser ou interpréter le mouvement, la vague avait déjà échoué.

Des artistes comme Udo Lindenberg ou Nina Hagen avaient déjà prouvé que le rock et la langue allemande n’étaient pas incompatibles. Les groupes qui font irruption en 1979-1980 suivent leur exemple et se lancent dans une grande aventure fantastique. L’amour, le sexe, les délires adolescents, la critique politique (les 99 Luftballons sont plus subversifs qu’ils n’en ont l’air) voire le rien du tout (der Räuber und der Prinz), le leitmotiv consiste à ne pas " reprendre son souffle, l’Histoire va être faite, on avance " ("Keine Atempause, Geschichte wird gemacht, es geht voran") selon le refrain de Fehlfarben, dont le rock effréné et la tranquille insolence se posent vis-à-vis de la domination musicale anglo-américaine.

La nouvelle génération de consommateurs ne s’intéressait plus au rock soft à l’américaine et voulait des chansons drôles, grossières, courtes, pour chanter et danser. Si la Neue Deutsche Welle n’avait été qu’un pur produit des labels musicaux, elle n’aurait certainement jamais été aussi créative et remporté un tel succès.

Dans les hit-parades, les mêmes chansons sont passées en boucle pendant trois semaines avant d’être compilées dans un sampler du plus exquis mauvais goût. La sortie de Herr Kommissar  de Falco, l’hymne de la Nouvelle vague, permet au mouvement d’accéder aux salons. La Neue Deutsche Welle devient d’un seul coup chic et accède au rang d’intermédiaire de la culture allemande dans le vaste monde.

Il en est resté une quantité de chansons qui aujourd’hui encore mettent les Allemands en transe dans les fêtes, une véritable (r)évolution. Entre 1980 et 1984, les sons et les textes les plus divers ont été produits par une armée de musiciens. Ce qui, à la fin des années 70, était encore inimaginable, était devenu réalité : avant-garde, minimalisme, jazz et punk sont présentés avec le même succès dans les programmes de divertissement familial à la télé ou à la radio.

La phase terminale de la Neue Deutsche Welle a des allures de soupe populaire. Le mouvement s’essouffle, n’a plus idéal ni contenu, n’est plus d’avant-garde car déjà trop ressucé et perd complètement son influence. Mais la nouvelle vague a permis à de nouveaux artistes allemands (on ne parle pas de Modern Talking) de faire leur entrée et de s’établir dans les charts et ce jusqu’à aujourd’hui.

André S & Célia