Amnesiac - Radiohead

Soucieux, après le triomphe de l’emphatique " Ok Computer ", de conforter son image de groupe " indie ", Radiohead s’est égaré dans l’étriqué " Kid A ", sorte d’EP longuet oscillant entre hermétismes artificiels et recréations sans grande imagination. A peine plus de six mois après, " Amnesiac " vient magistralement corriger le tir. Le Kid a bien grandi et c’est, enfin, un album mature, à la hauteur du talent et des espoirs placés dans Radiohead qui nous est proposé. Le parallèle entre ces deux albums est évident, inévitable, et tourne à l’avantage du dernier né, qui renvoie son grand frère au rang de maquette de luxe, ébauche d’album n’ayant guère d’intérêt que pour les chercheurs en Radioheadologie.

L’album s’ouvre sur " packt like sardines in a crushed tin box ", basé sur une entêtante boucle rythmique métallique et des sons minimalistes, qui parvient, par son brouhaha musical oppressant, à nous faire ressentir la folie, la claustrophobie de la chanson, et pose les bases pour la suite de l’album. Ici, les expériences sonores, loin d’être gratuites, viennent en renfort des textes et du chant de Thom Yorke, qui, au diapason du groupe, cherche moins la performance, joue moins de sa voix pour mieux en jouer à bon escient, comme sur l’hallucinante " Pyramid Song ", monumentale ballade contrastant avec la frénésie de l’ouverture.

La tension retombe ensuite avec la médiocre " Pulk/Pull revolving doors ", ou l’on retombe dans les effets gratuits de " Kid A ", rythmique électro et voix filtrée qui semblent plus constituer une fin qu’un moyen. Maniant une fois de plus le chaud et le froid, Radiohead nous offre ensuite l’admirable " You and Whose army ", ambiance années 40 et climat poisseux.

I might be wrong " et " Knives Out ", semblent être des gages aux fans de " OK Computer ", guitares et vocalises en avant, dernières bouffées d’air avant l’apnée de la deuxième partie du disque.

Morning Bell ", déjà présente sur " Kid A ", est un bon exemple de l’évolution de Radiohead entre les deux albums. Etouffée par une rythmique pesante, alourdie encore par les excès d’un Thom Yorke n’hésitant pas à en faire des tonnes, encombrée de guitares " expérimentales ", surproduite, la première version paraît confuse, bâclée, tandis que son pendant sur " Amnesiac ", beaucoup plus dépouillée, s’appuyant sur une ambiance rappelant les films d’horreur de la Hammer, retrouve un sens et une cohérence entre les textes cauchemardesques (" Cut the kids in half ") et la musique.

Rythmique de basse lourde, nappes de violons doublant la voix, changements de rythme, s’organisent sur " Dollars and cents " pour venir prolonger le doux cauchemar inauguré sur " Morning Bell ".

Like Spinning Plates ", à l’instar de " Pulk/Pull ", est un ennuyeux morceau " gimmick " principalement basé sur le renversement de pistes audio. Exercice gratuit, passablement grotesque –d’autres ont joué à ce jeu bien avant, ne semblant avoir d’autre visée que de renforcer l’image de groupe intelligent et de faire couler de l’encre sur leur génie créatif, ce gadget vient briser l’ambiance cinématographique, façon " Fargo ", construite au long de l’album, et que l’instrumental " Hunting Bears ", lointain cousin du " Black Moutain Side " de Led Zeppelin, venait de renforcer. Le final, le jazzy " Living in a glass house ", pâtit lui aussi de cette rupture avec le ton de l’album, la magie brisée lors du morceau précédent n’opérant plus.

Œuvre magistrale et maîtrisée, " Amnesiac " pourrait être le disque de la consécration pour Radiohead, réconciliant fans de " OK Computer " et inconditionnels de " Kid A ", en une sorte synthèse des qualités pop de l’un et du travail avant-gardiste de l’autre, sans qu’on puisse pour autant parler d’un album démagogique. Le travail de reconstruction, de recherche, entamé sur " Kid A " est toujours présent, mais sert ici de toile de fond à des morceaux plus mélodiques, plus accessibles, bref, définitivement plus pop. La production au service de la musique et non l’inverse en somme.

La seule angoisse pour l’avenir est que Radiohead n’ait définitivement écrasé la concurrence avec cet album, tout comme les Beatles avaient assomé le monde de la pop avec " Sergeant Pepper’s ", dont " Amnesiac " est un digne héritier.

Flop