On se souvient
tous de la sortie en salle de Baise moi, film réalisé par
Virginie Despentes et Coralie Trinh-Thi. Un tel scandale ne s'oubliera certainement
pas de sitôt. Mais pourquoi, d'où toute cette affaire est-elle
partie? De Lyon. Ville phare en matière d'art contemporain, pas de tolérance.
Le
22 juin 2000, la commission de censure conseille un visa d'exploitation
avec interdiction aux moins de 16 ans, à une courte majorité
d'une voix. Le gouvernement entérine. On croit l'affaire
réglée mais, alors que le film n'est même pas
sorti en salle, le 21 juin 2000, l'association Promouvoir
porte plainte devant le conseil d'état. Association lyonnaise,
dont le président est André Bonnet, magistrat à
la cour administrative de Lyon, mais surtout membre du MNR, parti
de Bruno Mégret... On peut donc la soupçonner de "promouvoir"
des idées d'extrême-droite, en particulier le retour
aux "valeurs judéo-chrétiennes et à la famille".
Et l'on se souvient fort bien avec quelle stupeur on a su que le
Conseil d'Etat a d'abord pris en compte la plainte le 23 juin, puis
classé le film X le 30 !
Grosse
polémique donc, mais pour quoi? "Un message pornographique
et d'incitation à la violence susceptible d'être vu
ou perçu par les mineurs.", selon le rapport du Conseil
d'Etat. Sans blagues... Quel adolescent de moins de 18 ans n'a jamais
vu un film porno, ou tout simplement n'importe quel James Bond,
où la domination de l'homme sur les femmes et le permis de
tuer sont prônés avec fierté? Non, vraiment,
il y a autre chose.
En
effet, Baise moi est un film dérangeant moralement.
Une scène de viol très crue, des meurtres en pagaille,
aucune culpabilité, aucune moralité. Deux actrices
anciennes hardeuses dans les rôles principaux. Tout est fait
pour choquer, c'est d'ailleurs la volonté affirmée
des réalisatrices tout au long de la promo.
Le
film a des faiblesses : un certain manque de distance par rapport aux personnages,
une certaine répétition dans les scènes de violences. Mais
on peut les voir comme des plus : cela ne nous laisse pas le temps de souffler,
Baise moi est un road-movie ne l'oublions pas. Grande qualité
en revanche, les deux actrices font remarquablement bien passer leur message:
notre monde est un monde d'hommes pour les hommes, être une femme est
difficile, et si elles transgressent elles se libèrent mais s'exposent
à de graves conséquences. Ni trop déjantées ni pas
assez, elles s'acquittent aussi bien du rôle de femme dépassée
par la vie, soumise mais pas dupe, que de celui de séductrice puis de
tueuse.
C'est là
à mon avis que l'on touche le vif du sujet. Le Conseil d'Etat écrit
en effet que "Le film est composé, pour l'essentiel, d'une succession
de scènes d'une grande violence et de scènes de sexe non simulées,
sans que les autres séquences traduisent l'intention affichée
par les réalisatrices de dénoncer la violence faite aux femmes
par la société.". Enorme allusion faite à la mythique
scène de viol. Scène de sexe? Certainement pas : scène
de violence, peut-être, mais peut-on parler de sexualité à
propos d'un viol?? De plus, le viol est simulé, son caractère
violent aussi bien sûr, seul hic : à un moment on voit une pénétration.
On aurait pu comprendre le message (un viol c'est odieux) sans ce réalisme,
mais cela aurait été moins choquant. Le passage à l'acte
est ici nécessaire et Virginie Despentes l'utilise de manière
puissante. Elle ne veut pas faire réfléchir le spectateur sur
le viol, elle veut le lui faire ressentir... Cette scène n'est pas un
but mais un moyen. On ne peut donc pas parler de pornographie.
Tout
au long du film sont présentes d'autres scènes où
l'on voit des pénétrations (jamais de rapport sexuel
complet en revanche: juste ce qu'il faut pour mettre le spectateur
mal à l'aise). Mais elles représentent soit la soumission
sexuelle des femmes - prostitution, viol - soit la libération
finale des héroïnes qui prennent enfin du plaisir, certes
en dominant puis tuant les hommes qu'elles croisent (et encore,
elles ne les tuent pas tous...).Le fait que les pénétrations
ne soient pas simulées donnent de la force à cette
évolution, et par là au film entier.
Quant
à la violence, il n'y a rien de plus que dans Pulp fiction
sauf... que ce sont des femmes qui tiennent les flingues... Fondamentalement,
il me semble que ce qui a choqué les membres de Promouvoir
et du conseil d'état, c'est bien ça. Baise moi
montre une image des femmes très inhabituelle: tout d'abord
très réaliste tendance crue et cynique, puis renversée
par rapport à la réalité.
Et
c'est très subversif. C'est un film d'action vu du côté
féminin qui montre et dénonce essentiellement le traitement sexuel
réservé aux femmes, y compris la pornographie. Seulement, le style
métaphorique ne convient pas à Virginie Despentes, son histoire
personnelle est proche par certains points de celle des deux héroïnes,
et que le spectateur comprenne ne lui suffit pas. Il faut qu'il ressente. Le
Conseil d'Etat en suivant un certain conformisme bien-pensant a surtout peur
d'un cinéma non édulcoré, qui accorderait plus d'importance
au fond qu'à la forme...
Finalement,
ce ne sont pas les images pornographiques qui dérangent dans
Baise moi, mais les idées qu'elles mettent en valeur,
qui remettent en cause l'ordre moral. Et le plus amusant de tout
ça, c'est que le film n'est rien comparé au livre,
qui est infiniment plus dur, les scènes sont détaillées
avec cruauté et cynisme, les personnages encore plus présents.
Dans notre beau pays, on n'a donc pas le droit de montrer ce qu'on
écrit...
Sab